Un quai de gare / A train plateform

Un quai de gare, à Offenburg, en Allemagne. Je ne savais même pas que cet endroit existait avant de me retrouver ici, entre deux trains, à attendre ma correspondance.

Je me décharge de mes sacs avec soulagement, et m’assieds sur l’un des rares bancs présents, tout au fond du quai. A côté de moi, il y a un jeune homme dont la couleur de peau trahit l’origine étrangère. Il a l’air perdu dans ses pensées, le regard baissé. Le train ne viendra pas avant une demi-heure, j’engage donc la conversation après quelques minutes, à l’aide d’une plaque de chocolat dans mon sac dont je lui propose un carré. Il me remercie en souriant, j’en profite pour lui demander d’où il vient. Il me répond : « Bangladesh » d’une petite voix. « Le Bangladesh ? Je comptais y aller cette année ! ». Il me sourie encore, avec moins de conviction cette fois, comme s’il se demandait qui pourrait bien avoir envie d’aller là-bas. Ma curiosité est piquée, j’aimerais bien savoir ce qu’il fait là.

Son anglais est maladroit, je ne comprends que péniblement ses réponses murmurées. Toutefois, les bribes que je saisis me permettent petit à petit de reconstituer son parcours : il a vécu en Inde pendant sept ans, il a une sœur au Bangladesh mais ses parents sont morts. Il a 19 ans. Il me parle de la Birmanie, pays que j’ai adoré visité. Il me dit que nous n’avons sûrement pas dû voir la même Birmanie… Lorsqu’il prononce les mots « My people », je commence à comprendre la situation avec stupeur : son peuple, ce sont les Rohingyas. J’en ai beaucoup entendu parler, sans en connaître vraiment beaucoup non plus. Je sais seulement que c’est une minorité musulmane opprimée par le régime birman. Je ne suis pas sûre de moi, et surtout, sur le moment, je n’arrive plus à me souvenir du nom de cette minorité, bien que je l’ai sur le bout de la langue. Alors, à la place, je lui demande s’il est musulman : « Yes. » J’ai ma réponse.

Je comprends donc qu’il fuit les horreurs de son pays. Je sens au son de sa voix que son passé est lourd. Je ne sais trop quoi dire : je ne veux pas remuer le couteau dans la plaie, mais je pense que son histoire mérite d’être entendue, ne serait-ce que pour lui donner un sens. A la place, je lui demande de me parler du voyage qui l’a amené ici, sur ce quai de gare, à Offenburg.

Je découvre ainsi qu’il est parti il y a une semaine, et qu’il a rejoint l’Europe en train. En Grèce, il a embarqué sur un bateau, sur lequel il est resté deux jours ; je n’arriverais pas à avoir plus de détails. Maintenant, il se dirige vers le Danemark. Un homme nous interrompt : il me demande en allemand si nous sommes ensemble. Je lui indique que non, il dit alors à mon nouvel ami de le rejoindre en milieu du train plus tard.

Je suis intriguée, il m’explique qu’il n’a pas de passeport ni de visa, mais une carte d’identité, ce pourquoi il a droit à ce traitement spécial. Il devrait avoir droit à un passeport d’ici un ou deux ans. Je ne connais pas la politique du Danemark en matière d’asile, je lui demande s’il sait où il va loger à son arrivée. Ses réponses sont évasives, je crois qu’il s’inquiète de ce qui l’attend. Un peu désemparée, je lui dis que je n’ai jamais été au Danemark mais que je suis sûre que les gens y sont gentils. J’essaie de lui changer les idées en lui posant des questions sur ce qu’il pense de l’Europe. Il trouve que les gens sont un peu froids. Je me rends compte de l’ampleur de la différence avec son propre pays, je ne peux que lui communiquer doucement mon soutien.

Puis, le silence. Que dit-on à quelqu’un qui vient de laisser toute sa vie derrière lui, qui a sûrement parcouru un trajet horrible pour échapper à un futur sans espoir ? Les mots semblent dérisoires. Alors, je lui parle de ce que je fais. « J’étudie à distance. Je voyage et j’étudie en même temps.» Ce qui me fait réaliser encore plus l’injustice de la situation. Les deux, nous sommes seuls, sur ce quai de gare, à Offenburg, mais les deux, nous avons des raisons bien différentes d’être ici. Une seconde, l’émotion me submerge, mais je me reprends. S’il y a bien un de nous deux qui est en droit d’être triste, ce n’est pas moi.

Nous partagerons encore une heure de trajet, à bord du train, avant de se quitter à Mannheim. Aucun de nous ne sait vraiment ce qui l’attend, mais quelque chose me dit que mon futur à moi est moins inquiétant que le sien. Avant de le quitter, je lui demande son nom : Rubel.

Rubel, je ne manquerai pas de penser à toi, la prochain fois que j’aurai peur de ce que l’avenir me réserve.

P1080626

A train platform in Offenburg, Germany. I didn’t even know this place existed before I ended up here, waiting for the next train.
I free myself of my bags with relief, and sit on one of the few benches there, at the far end of the plateform. Beside me, there is a young man whose skin color betrays his foreign origin. He looks lost in thought, staring at his feet. The train will arrive in half an hour, so I start the conversation after a few minutes by offering a piece of chocolate from my bag. He thanks me with a smile, I want to ask him where he comes from. He replies: “Bangladesh” in a small voice. “Bangladesh? Oh, I planned to go there this year! “. He smiles at me again, with less conviction this time, as if wondering who would really want to go there. My curiosity is pricked, I would like to know what he’s doing here.

His English is awkward, I only understand a small portion of his whispered answers. However, I take the scraps that allow me to slowly rebuild his story: he has lived in India for seven years, he has a sister in Bangladesh but his parents died. He is 19 years old. He tells me about Burma, a country I loved visiting. He tells me that we have surely not seen the same Burma… When he says the words “My people”, I begin to understand the situation with astonishment: his people are the Rohingyas. I’ve heard a lot about them, without knowing very much either. I only know that it is a Muslim minority oppressed by the Burmese regime. I am not sure of myself, and most of all, in the moment, I can’t remember the name of that minority, although I have it on the tip of the tongue. So instead, I ask him whether he is a Muslim: “Yes. “I have my answer.

So I understand that he fled the horrors of his country. I can feel by the sound of his voice that his past is heavy. I do not know what to say. I do not want to rub salt into the wound, but I think his story deserves to be heard, if only to give it a meaning. Instead, I ask him to tell me about the journey that brought him here, on the station platform, in Offenburg. I discover that he left a week ago, and he joined Europe by train. In Greece, he boarded a ship on which he stayed two days; I would not be able to have more details. Now he’s heading to Denmark. A man stops us: he asks me in German if we are together. I tell him no, so he tells my new friend to join him in the middle of the train later.

I am intrigued, he explains that he has no passport or visa, but an identity card, which is why he is getting this special treatment. He should be entitled to a passport in one to two years. I do not know Denmark’s policy on asylum, I ask him if he knows where he’ll stay on arrival. His answers are evasive, I think he is worried about what lies ahead. Somewhat bewildered, I say I’ve never been to Denmark but I am sure that the people there are nice. I try to change the subject by asking questions about what he thinks of Europe. He finds that people are a little cold. I realize the magnitude of the difference with his own country, I can only provide my support quietly.

Then, silence. What do we say to someone who has just left his life behind him, that has surely gone through a horrible journey to escape a hopeless future? Words seem paltry. So I tell him about what I do. “I’m a distance student. I travel and study at the time.” Which makes me realize even more the injustice of the situation. Both, we are alone, on that station platform, in Offenburg, but we both have very different reasons for being here. For a second, emotion overwhelms me, but I stop myself. If there’s one of us who has the right to be sad, it’s not me.
We still share an hour’s journey on the train, before parting in Mannheim. None of us really knows what to expect, but something tells me that my future is brighter than his. Before leaving, I ask him his name: Rubel.
Rubel, I will certainly think of you the next time I get afraid when thinking of the future.

Leave a Reply